l'accordeur de pianos by Mercier Pascal

Auteur:Mercier, Pascal [Mercier, Pascal]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782355800085
Éditeur: Maren Sell
Publié: 2008-10-01T22:00:00+00:00

PATRICIA

Quatrième cahier

Tu es un joueur, Patrice. Non à la roulette ou à la table de poker. Tu joues avec les êtres humains. Non pour les exploiter ou parce que tu manquerais de respect envers eux. Ni non plus par amour du pouvoir. Ta manie consiste à vouloir absolument sonder les limites d’une relation en les franchissant et en provoquant ainsi une catastrophe.

C’était cela que je pensais après avoir raccroché le combiné. Ce que tu m’as raconté sur toi et Paco avait une résonance funestement familière. Et du fait que tu as téléphoné, malgré notre convention, pour me demander conseil, j’ai cru vivre un épisode de cette même histoire. Je suis la dernière à pouvoir te conseiller en cette affaire, et non seulement parce que je ne connais pas le garçon et son infirmière. « Excuse-moi d’avoir téléphoné », as-tu dit. « De rien », ai-je répondu.

Pendant les heures qui ont suivi ton appel, je fus incapable d’écrire, et le lendemain soir les mots ne vinrent pas non plus. Tu te faisais jouer la musique de Papa, avais-tu dit. Donc, je t’ai bien deviné, pensais-je. Je le pensais sans joie ni triomphe. Car il m’était difficile de m’adapter à la nouvelle situation. Tu écoutais la musique de Papa que je n’avais jamais entendue et tu l’écoutais avec quelqu’un qui n’était pas moi. En outre, cela avait lieu dans une proximité inattendue, si je la comparais avec l’éloignement des Andes auquel je m’étais habituée dans mon dialogue silencieux avec toi. Deux autres jours ont encore passé avant que je retrouve des mots.

Les soirs pendant lesquels je restais devant le cahier vide et attendais en vain le retour des mots, je te revoyais souvent, petit garçon : tu m’apportais tout ce que tu avais fait, chaque dessin, chaque figurine d’argile, tout. Tu me le remettais d’une manière qui, en ce temps-là déjà, alors que je ne savais pas encore l’interpréter, me touchait très profondément. Je n’ai compris ton désir qu’au cours du temps : tu ne voulais pas être complimenté pour ton œuvre. Tu ne voulais pas non plus de remerciement. Tu ne me la dédiais pas comme on fait un cadeau. Ce que tu voulais, c’est que je la déclare notre bien commun et que je la reconnaisse aussi comme mienne. Sinon, cela ne comptait pour rien. J’ai cru déceler un lointain écho de ce désir dans ta voix quand tu me parlais de Paco au téléphone.

Je peux sentir la pluie sur ta peau, as-tu dit un jour, tandis qu’avec la main tu touchais les gouttes sur ton propre bras.

La langue du corps de ceux que tu as admirés et aimés, tu te l’appropriais avec un naturel à couper le souffle. Tu as vu un jour un chef d’orchestre descendre du podium et se diriger d’un pas élastique vers la porte que le garçon de salle tenait ouverte. Quand les applaudissements tarirent, tu es allé vers le foyer avec exactement la même démarche, étrangère à la tienne. Tu étais tellement absorbé à

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